Nous

Nous aurons des douches neuves remplies d’alluvions et d’odeurs atroces.

Nos corps pleureront des gouttelettes de suie brune.

Tu verras comme nous serons heureux.

Tous les jours, nous encenserons nos quinze ans.

Nos fauteuils de velours râpé atteindront la cime des cieux, nous aurons même la foi.

Les devins s’arrêteront à notre porte fermée pour quérir un verre de lait.

Nos enfants ne diront jamais rien.

Les matins seront chauds, les soirs froids.

Nos yeux ne se quitteront que pour aller cueillir des pommes vertes que nous laisserons paresseusement choir dans un grand panier d’osier aux éclats ternes.

Tu verras comme nous serons heureux.

Nous donnerons des perles aux cochons, des sous aux pauvres, de l’alcool aux alcooliques, des baisers aux amoureux, de la viande aux chiens, des poissons aux oiseaux et du blé aux assassins.

Nos amis ne nous quitteront plus.

Nous mettrons nos mères et nos pères au champ d’honneur.

Les alchimistes gérontologues feront le pied de grue devant des fenêtres que nous aurons nombreuses et propres.

La musique adoucira nos mœurs terribles et dégradantes.

Nous parlerons français avec un accent salvadorien afin de se rappeler notre défunt Chico mort à la guerre comme une carpe.

Nous aurons des oiseaux de proie blottis au creux des armoires, des coqs en pâte et des poules au pot.

Nombreux seront nos ennemis.

Tu verras comme nous serons heureux.

Que sommes-nous devenus, lovés dans le confort de nos objets qui se délitent ?

1. À qui ce poème s’adresse-t-il ? Qui interpelle-t-il par son titre efficacement réduit au pronom personnel « nous » ? 

 

2. Relevez, dans le poème, les champs lexicaux opposés : les connotations positives versus les connotations négatives ; le vocabulaire relatif à la vie versus celui qui évoque la mort ; les éléments naturels versus les éléments artificiels… Quels sentiments font naître ces télescopages sémantiques dans l’esprit du lecteur ?

 

3. L’anaphore (plus précisément, épiphore dans ce cas-ci) « Tu verras comme nous serons heureux » apparaît dans les vers 3, 10 et 19. Faut-il prendre cette affirmation au pied de la lettre ou bien est-ce une antiphrase ? Comment appelle-t-on le registre d’humour qui consiste à dire une chose pour signifier son contraire ?

 

4. Quels procédés grammaticaux et stylistiques contribuent à donner au poème « Nous » un ton prophétique ?

 

5. Lors de votre récitation, mettez en évidence les contradictions que le poème soulève, en accentuant les allitérations et les assonances. Par exemple dans ce vers : « Nous aurons des oiseaux de proie blottis au creux des armoires, des coqs en pâte et des poules au pot », appuyez l’allitération en « p » et les assonances en « oi » et en « o » afin de faire ressortir l’inquiétude qui pèse derrière le confort et l’abondance.

 

Activité d’écriture
Dans un poème conjugué au futur, adressé non pas à un « nous », mais à un « vous », mêlez des éléments naturels et des objets artificiels, et créez des images inédites fortes.

 

Liens utiles 
La bande-annonce du spectacle pluridisciplinaire « Nombreux seront nos ennemis » mis en scène par Hanna Abd El Nour et inspiré par le recueil de Geneviève Desrosiers :

NOMBREUX SERONT NOS ENNEMIS en tournée de Volte 21 sur Vimeo.

 

L’article « Geneviève Desrosiers, la lumière indélébile » de Catherine Lalonde dans le journal Le Devoir

Section « Pour aller plus loin » rédigée par
Référence bibliographique

Geneviève Desrosiers, « Nous », Nombreux seront nos ennemis, Montréal, L’Oie de Cravan, 2006.

Commencez ici :